Julian Ferguson

Julian Ferguson serait digne d’apparaître dans l’une des œuvres du mythique Kafka. En réel héros kafkaïen, il est complètement étranger à lui même. Il est tout bonnement impossible pour lui de mettre un nom sur ses désirs, de donner une direction à sa volonté ultime, de définir ses motivations. Les processus s'enchaînant en son être lui semblent lointains, flous, et complètement incompréhensibles. Tout cela lui semble bien trop compliqué, et il ne préfère pas s'y attarder: il a toujours réussi à vivre sans comprendre toutes ses subtilités, alors, pourquoi donc devrait-il tenter de les comprendre aujourd'hui ? Cette quête lui semble dénuée de sens, alors il s'abstient d'en emprunter le chemin. Il s'entête à reléguer ces contrariétés au fin fond de son esprit, et les ignore – simplement, et avec un succès étonnant. Il ne se comprend pas lui même et ne comprend donc pas les autres, il ne comprend pas leurs réactions qu'il juge exagérés et hors propos bien trop souvent. C'est qu'il ne sait pas voir plus loin que les barrières qu'il s'est fixé, et ne saisit pas que certaines personnes ne se sont pas imposées ses propres limites et ne jouent donc pas dans la même cour que lui. Il est donc bien trop souvent jugé d'insensible, de cruel, de salaud. Mais ces trois adjectifs-là ne lui correspondent absolument pas. Julian n’a rien d’un cruel salaud insensible. Il est simplement handicapé des sentiments. Non pas qu’il ne sait pas les ressentir –chaque être humain a cette capacité en lui- il ne souhaite seulement pas les personnifier. Pourquoi ? Ceci est un mystère à ce jour toujours irrésolu. Il ne sait pas aimer, il ne veut pas aimer. Certainement par peur. Pourquoi donc refuserait-on de ressentir pareilles magnificences ? La peur semble être la seule réponse logique. Pourtant, Julian, au premier abord, semble bien éloigné d’un quelconque couard ou d’être animé par une peur lui refusant de se laisser aller. Mais pourtant, il faut bien que cela soit la peur, car quelle autre raison pourrait-il y avoir à cette fuite éhontée face à tous sentiments profonds ?
C’est ainsi cette fuite viscéralement dictée par tout son être qui lui impose deux comportements totalement opposés. Julian est en soi quelqu’un d’agréable, de gentil, de drôle et de sociable. Pourtant, à partir du moment où il sent quelqu’un devenir trop proche de lui, il change du tout au tout. Il devient froid, distant, cruel, vil. Il est prêt à tout, même au pire, pour que personne ne perce la muraille qu’il a construite autour de son cœur. Il n’hésite à blesser profondément, à rabaisser, à se moquer éhontement pour sauver sa virginité amoureuse. Personne ne doit s’approcher trop près, personne ne doit le cerner, personne ne doit vouloir trop. Car Julian n’en est pas capable, il ne sait supporter cela, et ne l’acceptera pas. Pour lui, son comportement n’a rien de mal, il ne voit pas combien il peut blesser les autres ; il est coincé dans de mauvaises habitudes et ne sait plus voir où il a fauté. Pourtant, cela ne l’empêche pas de se montrer possessif et protecteur. Encore une autre habitude, et parfois, il ne vaut mieux pas en chercher le sens, car la quête est longue et difficile, et peut-être infructueuse. Ainsi, ce refus laconique de relations profondes l’entoure d’une aura de mystère, de paradoxes, d’incompréhension et d’imprévisibilité. Personne ne comprend qui il est réellement, personne ne sait voir derrière les contraintes qu’il se fixe. Chacun le juge à son bon vouloir, chacun le juge en fonction de ses apparences. Et Julian ne s’en porte que mieux. Il n’est vraiment pas prêt à plus.

« L’amour, l’amour, l’amour ! Toujours cette ridicule obsession de l’amour ! » Ainsi pourrait être décris les ressentiments de Julian à cet égard. Il ne veut pas de l’amour, il le refuse et le repousse de tout son être ! Cela lui semble bien trop compliqué, et toujours suivi ou accompagné de tant de souffrances ! Il ne veut pas aimer pour la simple raison qu’il ne veut pas souffrir, il ne veut pas compliquer son existence, il ne veut pas ajouter l’amour aux périples de sa vie : cela serait pour lui un cheveu de la soupe, tout bonnement. Aimer est destructeur, aimer est une aliénation. Et il voit avec incompréhension les personnes autour de lui y succomber et n’arrive vraiment pas à comprendre pourquoi donc ils se laissent ainsi faire. Voilà pourquoi Julian ne se laisse pas approcher. Car c’est la familiarité, la connaissance entière de l’autre, la complicité, qui créé l’amour. Quant aux coups de foudre, très peu pour lui, il n’y croit pas. Il se contraint donc à toujours tenir une distance avec les personnes qu’il fréquente, il n’aimera pas ou ne sera plus. S’il aurait pu, il n’aurait plus fréquenté aucune fille, et l’affaire aurait été réglée en traitant le problème à la source. Mais Julian a un goût prononcé pour les femmes, il ne saurait s’en passer – et à vrai dire, quel homme le saurait ? (a). Alors il a fait un compromis avec lui-même, il continuera de fréquenter de nombreuses femmes, mais s’imposera de telles limites, une telle distance, qu’il lui sera tout bonnement impossible d’éprouver une quelconque forme de sentiments pour elles. Il a dessiné une ligne imaginaire à ne pas franchir. Tant que la fille se trouve du bon côté, tout va bien. Elle n’exige rien, elle n’attend pas quelque chose sérieux, ils s’amusent bien ensemble, passent du bon temps en position horizontale, et parlent de tout sauf de ce qui importe, ça va. Mais dès qu’il s’agit de dépasser la ligne, de ne serait-ce que flirter avec, d’y déposer un tout minuscule bout de pied, c’est déjà trop. Toute fille qui commence à un peu trop parler d’une relation sérieuse, d’avenir, ou même de sentiments, ne fait que pousser Julian à la fuite. Alors c’est très simple, plutôt lâche, il n’a pas de problème à l’inciter à le quitter pour ne pas avoir à le faire lui-même. Et tous les coups sont permis ! Il va jusqu’à proposer les choses plus extravagantes, poser des ultimatums ou même simplement faire le mort. Il n’a absolument aucun problème à esquiver tout ce qui est sérieux, de près ou de loin, et sa conscience s’en porte tout aussi bien. Enfin, il y eut bien une exception – forcément. Elle s’appelait Cassy. Leur relation avait débuté de manière tout à fait banale, et il ne lui portait pas plus d’intérêt qu’aux autres filles. Il était allé jusqu’à lui proposer que leur relation reste secrète car il avait déjà en parallèle une autre fille, d’autant plus que cette relation-là datée aussi de peu. Elle s’appelait Rose et il la menait complètement en bateau, la douce et romantique Rose n’y voyant que du feu. Julian ne se sentait pas coupable de maintenir ainsi les illusions de deux filles en même temps : il se refusait de croire qu’il était amoureux, et que l’autre n’était qu’une façade pour ne pas se l’avouer. Mais bien vite, il sentit que rien ne se passait comme il se devait. Son cœur battait un peu trop vite dès qu’il la voyait, son ventre n’était pas au meilleur de sa force quand il était avec elle, et il se sentait toujours un peu trop béatement heureux avec elle. Cette accumulation de phénomène lui fit prendre peur : il n’avait jamais ressenti ça, et cela lui faisait peur. Il était déstabilisé, et sa paix intérieur troublée. Elle était exceptionnelle, il ne pouvait le nier, il lui trouvait toutes les qualités et voulait la protéger de tout, du monde entier. Pourtant, devant ses amis rien n’était pareil. Il continuait d’affirmer qu’elle n’était qu’une occupation, qu’un divertissement le temps d’un été. Ah ! L’orgueil est tenace. La peur d’être jugé aussi… Et c’est cela même qui retint toujours Julian de dévoiler ne serait-ce qu’une petite parcelle de ce qu’il ressentait pour Cassy. Il pensait taire à jamais ses sentiments, mais une après-midi, tout bascula. Julian se baladait, main dans la main, avec Rose, image du couple parfait et uni – ridicules apparences ! Puis, il vit débarquer sa belle, son aimée Cassy. Elle lui cracha au visage ce qu’elle pensait. Il n’hésita même pas entre rester avec Rose et feindre encore une fois, ou courir après celle pour qui son cœur battait. Il choisit la seconde option, laissant une Rose déboussolée, et seule. Il lui avoua alors, tout, tout ce qu’il avait sur le cœur et qui semblait toujours un peu trop flou, un peu trop compliqué, un peu trop effrayant pour lui. Il sentit qu’il n’avait plus le choix, et qu’il allait devoir repousser ses limites pour ne pas perdre celle qui illuminait dorénavant sa vie. Mais ses excuses étaient pauvres, bien que sincères. Cassy n’avait pas vu – elle non plus- à que point il était impossible pour Julian de s’attacher et encore plus de l’avouer ! Pourtant, il venait de le faire pour elle ! Il venait de lui avouer ses faiblesses et les contradictions de son comportement en quelques phrases… Et là, il balbutia deux pauvres mots qui semblaient bien ridicules dans sa bouche : « Je t’aime. » Mais Cassy s’en alla. Et il na la revit plus jamais. Après cette énorme déception, il re-scella son cœur bien plus consciencieusement qu’auparavant. Ayant éprouvé les affres de l’amour, désormais, il sait à quoi s’attendre et ne recommencera plus. Enfin, il pense que c’était de l’amour, mais il reste dubitatif. Ou il refuse de voir la vérité en face. Il n’en reste que désormais, Julian est encore plus détaché que jamais, et s’impose de plus en plus de distance et refuse de tout son être de s’attacher. A qui que ce soit.

II. Hors-Jeu

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Une main effleura la sienne. Il baissa les yeux discrètement et d’un air dégagé et il vit celle de Rose attraper la sienne. Il ne réagit pas. Il planta son regard au loin, et ignora délibérément cette main pressant la sienne. Pourtant, vite, très vite, trop vite, son regard balaya l’horizon et glissa jusqu’à la jolie blonde. Ils échangèrent un regard et elle lui sourit, lui, resta de marbre. Il détourna à nouveau son regard. Depuis quelques temps, depuis trop longtemps, il se sentait déboussolé, il sentait que ses actions étaient dénuées de sens et il ne savait plus quoi faire. Il aurait voulu prendre des décisions pour enfin ne plus être tourmenté par tant de questions sans réponse mais cela était une épreuve bien trop ardue pour son pauvre esprit. Il ne savait pas, il ne pouvait pas. Julian n’était pas le genre de garçon à prendre des décisions. Non. Il laissait les autres en prendre pour lui, ou il laissait le destin suivre son cours. Advienne que pourra. Jusqu’à une certaine limite, évidemment. Et il sentait que Rose franchissait peu à peu cette limite, qu’elle dépassait ses barrières, qu’elle se vouait corps et âme à lui, quand lui, bah lui, il restait simplement lui-même : détaché et peu expansif. Mais s’il se fichait bien que Rose puisse dépasser ces limites-là c’était bien parce qu’il se fichait éperdument d’elle. Elle était la fille qui était simplement apparu au bon moment dans sa vie. Ne vous y trompez pas, elle n’était pas la fille qui avait débarqué et avait illuminé son existence, avait donné un sens à sa vie et avait fait battre son cœur si bien gardé. C’était plutôt tout l’inverse. Elle était arrivé au moment où il se sentait flanché pour une autre fille, et Rose s’était présentée comme son échappatoire à ses yeux. Quand il était avec elle, il pouvait conserver l’illusion qu’il n’était pas fou amoureux de Cassy, qu’il pourrait vivre sans elle et qu’elle n’était qu’une fille comme les autres, ou juste un tout petit peu plus que les autres – rien de bien folichon. Cette fille n’était qu’un leurre à part entière, une illusion maintenue juste devant ses yeux afin de déguiser la vérité d’atours plus acceptables. Mais cet après-midi là, tout bascula.

Sa main toujours dans celle de Rose, son regard perdu toujours dans le lointain… il la vit. Elle était là, et elle avançait vers lui. La brune volcanique semblait révoltée, en colère, au bord de l’explosion. Elle lui cracha trois maigres phrases pleines de fureur afin de s’en retourner. Julian ne réalisait encore rien, il était sous le choc. Son regard resta fixé sur le dos de Cassy encore quelques secondes. Et là, il comprit. Cela s’imposa en lui comme la force d’une évidence, sans même qu’il est à raisonné ou à analyser ce qui se déroulait en son être. Il aimait Cassy. Enfin, l’amour n’avait jamais été très clair pour lui, mais si cela devait être quelque chose, c’était forcément ce qu’il ressentait pour la brunette. Cet amalgame de paradoxe ne pouvait être que de l’amour. Précisément cet amour qu’il avait toujours fuit et qu’il fuyait encore quelques secondes plus tôt en se cachant derrière sa relation creuse avec Rose. Désormais il savait. Et il n’avait plus qu’une chose à faire. Il s’élança à la poursuite de Cassy, délaissant lâchement Rose – mais à cet instant, il s’en fichait, de ce qu’elle pouvait ressentir, de ce qu’elle pouvait penser… Elle n’était rien. Elle ne représentait rien. Celle qui faisait battre son cœur s’en allait, il devait la rattraper… Elle avait bouleversé sa vie, elle ne pouvait pas la quitter déjà. Et surtout pas sur un tel malentendu. Car oui, pour Julian c’était bel et bien un malentendu. Pour son esprit simple, il suffisait qu’il lui explique que Rose n’était rien, et tout irait pour le mieux. Cassy lui pardonnerait et ils auraient leur happy end. Quel crédule imbécile ! Il arriva à sa hauteur et ses jambes ralentirent leurs rythmes jusqu’à simplement le transporter d’une marche rapide. Il attrapa son poignet fermement et la força à se retourner. Il planta son regard dans le sien, et sans réfléchir, il avoua :



Il balbutia sans trop de convictions ces deux derniers mots. En les disant, il su qu’il les pensait réellement bien que cela sonne complètement bizarre à ses oreilles. Il pensait qu’elle se ficherait de cette fille puisqu’elle ne comptait pas, il le lui affirmait. Mais non. Elle se retourna, et s’en alla. Julian resta comme un con, là, à la regarder partir, pour ne plus jamais la revoir.