Silicone et coordination

[Avant toute chose, pardonnez-moi pour ce post médiocre. Pour ma défense, je tiens à dire que je suis fatiguée, et que je HAIS commencer les sujets.]
[Il est loin d'être médiocre ce post. ANNE ONYME.]

Aaron n'avait pas vu ce séjour comme une bénédiction ou un signe que la chance était enfin de son côté. Non, il l'avait plutôt vu comme un moyen de se retrouver parmi des beaufs à chemises fleuries sous une chaleur abrutissante et loin de ses consoles, ses DVD, et ses quelques potes. Partir seul pendant un mois dans un lieu qui n'était pas du tout accordé à sa personnalité le déprimait presque. Mais voir Grace à son arrivée l'avait quelque peu reboosté. Elle était insupportable mais il avait l'impression d'avoir ramené un bout de Washington avec lui. C'était plutôt plaisant si on omettait le fait qu'elle le méprisait autant que le domestique qui lavait ses chiottes. Soit, c'était une distraction bien plus amusante que ce terrain de golf dont disposait l'hôtel. Aaron avait fait un tour rapide de celui-ci lors de ce premier jour. Pas mal. La piscine était tape à l'oeil et bourrée de monde mais tout de même attirante. Il s'était promis d'aller s'offrir un massage au spa juste pour voir si les masseuses étaient aussi sexy et douées que ce qu'il s'imaginait. Non pas qu'il s'imaginait ce genre de choses souvent. Son esprit avait juste tendance à vagabonder n'importe où, et lorsqu'il avait lu que l'hôtel proposait ce genre de service, il n'avait pu que se représenter la chose. La ville n'était pas mal non plus, mais pas de quoi en vanter autant les mérites. Certes, la plage était magnifique selon la plupart des touristes, et l'eau plus belle que n'importe où. Aaron avait beau suivre des études artistiques, il trouvait simplement que cet endroit puait le tourisme balnéaire et le silicone. Les paysages naturels étaient bien plus appréciables. Assis sur une serviette sur la plage au nom imprononçable et impossible à mémoriser, Aaron regardait en face de lui avec une moue perplexe. Il se sentait intelligent et tout le monde lui paraissait stupide. Pourtant il était certain d'être modeste et pas du tout du genre à se sentir supérieur à la moyenne. Mais voir ces filles vêtues de maillots de bain taille dix ans et ces hommes bodybuildés couleur orange le faisaient se sentir bien dans son corps blanc et maigre de garçon fan de livres, et autres choses bien plus valorisantes qu'un physique. Oui bon, peut-être était-il légèrement complexé et jaloux de ces hommes entourés de catin. Peut-être. Toujours était-il que cet endroit était le repère de la superficialité et que c'en était presque gerbant. Aaron posa le livre duquel il venait de lever les yeux pour ne pas contempler les alentours et retira le t-shirt qu'il s'était forcé à porter pour ne pas virer au rouge, en plus de sa crème solaire pour enfant protection 60. On n'est jamais trop prudents. La chaleur l'étouffait et il songeait à rentrer après une rapide baignade. Alors qu'il tentait vainement de nager parmi les corps et les ballons envahissants et insupportables, Aaron s'interrogea sur le contenu de son séjour. Ses journées seraient-elles toutes aussi ennuyeuses ? Seize heures, premier jour, il voulait déjà aller se coucher. Ou rentrer chez lui. Retrouver son canapé, sa température idéale, et le froid et le calme de sa librairie. Sa nature casanière avait tendance à le rattraper et l'éloigner de ses repères étaient le meilleur moyen de faire resurgir sa capacité à se plaindre en permanence, de tout et de rien. Il avait passé deux minutes dans l'eau à râler après des enfants trop turbulents avant d'en resortir et de partir à la recherche de son coin, évidemment introuvable puisque la plage était affreusement bondée et invivable. Dieu que cette journée était mauvaise, et son optimisme gagné grâce à Grace avait bien vite disparu. Pressé et désireux de retrouver ses affaires pour se barrer, Aaron enjambait les corps, évitait les ballons, et se retourna une fois pour grimacer en croisant un homme trop musclé au torse huilé et sa copine en string et quasiment seins nus. Comme tous les autres, en gros. Un moment de distraction suffit à Aaron pour faire preuve de sa maladresse pourtant déjà légendaire, butter contre un corps allongé et s'étaler sur le sable, les jambes sur son obstacle. La maladresse avait toujours fait partie de ses défauts et certaines lui avaient dit que c'était mignon. En quoi se ridiculiser dix fois par jour et bouffer du sable était mignon ? Aaron se redressa difficilement, du sable partout sur le corps et le visage, et fit face à la fille qu'il venait de percuter. Parce qu'évidemment, la malchance était sa meilleure amie et il fallait que ce soit une fille plutôt qu'un homme, et qu'en plus elle ne soit pas moche ou dégueulasse comme les bourges qui avaient investi cet endroit. Il était maudit. Las, il se lança dans des excuses désespérés, avec un calme qui ne lui était pourtant pas habituel :

- Veuillez m'excuser. J'ai un problème de coordination des membres, ma mère me l'a toujours dit. De concentration aussi. Je regardai ces deux-là là-bas, et me demandai combien d'heures ce mec avait du prendre sur ses études pour gagner autant en muscle et en couleur, ou si il les avait carrément abandonnées. Et aussi si elle venait de refaire sa poitrine et combien de temps il faudrait pour que ses seins tombent ou explosent. Aaron, jeune homme aux raisonnements intérieurs fort intéressants, enchanté.

Comment passer pour un être bizarre aux yeux de parfaits inconnus ? Aaron avait toujours excellé dans ce domaine, malgré ses nombreux efforts vains pour contenir au maximum ses pulsions de paroles incohérentes ou inintéressantes afin de s'intégrer. Il avait le pouvoir de parler plus qu'il ne le fallait et de saouler rapidement ceux à qui il s'adressait, d'où son manque parfois évident de vie sociale et sentimentale. Conscient que sa victime n'en avait probablement rien à faire de son prénom et n'était pas enchantée de l'apprendre après un tel premier contact, Aaron se releva complètement et entreprit de se débarrasser du sable qu'il avait sur le torse. Sans se rendre compte qu'il envoyait tout sur Roxane, bien évidemment.

Invité

Elle ne l'avait pas réellement prévu. Un matin, elle avait simplement trouvé ce qui ressemblait à un prospectus dans sa boîte aux lettres. Elle avait gagné. Et pas n'importe quoi. Un fabuleux voyage, dont les saveurs de paradis étaient vantées dans la brochure. Elle qui n'avait jamais gagné quoique ce soit de sa vie à un concours. D'ailleurs, elle n'avait nul souvenir d'avoir posé sa candidature où que ce fut. Et pourtant, c'était écrit là, noir sur blanc. Ou plutôt, en couleurs bariolées. Au début, comme les autres, elle n'y avait pas cru. Et puis, la chose s'était confirmée. Elle qui depuis des mois travaillait dur pour joindre les deux bouts et espérer s'assumer financièrement, allait partir en vacances à Hawaii. Tous frais payés. Elle qui avait cru dire adieu à ce type de vacances le jour où elle avait décidé de refuser l'argent de son père. Qu'on la traite de folle. Elle n'en avait que faire. Jusqu'à présent elle avait toujours été la belle et riche Roxane. Elle n'en pouvait plus. Le seule chose qu'elle désirait, c'était découvrir qui elle était. Et elle n'y parviendrait certainement pas en restant prisonnière de cette jolie image lisse de petite fille sage. C'était sans doute pour cela qu'elle avait quitté la Californie. Une déception, une déchirure de trop. Et c'était terminé. Elle sut qu'elle n'y était plus à sa place.
Elle avait longuement hésité avant de répondre à cette invitation. Cela semblait un peu trop beau pour être vrai. Et pourtant, elle avait bien fini par se décider, encouragée par ses amis. Avec son salaire de serveuse, où pourrait-elle partir. Et puis, ce serait une occasion de se changer les idées. Elle en avait besoin après l'année éprouvante qu'elle avait passé. Elle avait tout quitté. Son père, ceux qu'elle connaissait, et qui prétendaient être ses amis. Et pourtant, à sa grande surprise, elle ne regrettait absolument rien. Jamais elle ne s'était sentie aussi bien que depuis qu'elle vivait à New York, et étudiait ce qu'elle aimait.
Cependant, les choses n'avait pas totalement changé. Il suffisait d'observer les réactions qu'elle engendrait, ne serait-ce qu'ici. Qu'ils soient jeunes ou vieux, beaux ou non, Roxane produisait toujours le même effet sur les hommes. Elle le savait, et elle en jouait. C'était son unique valeur sûre, celle sur laquelle elle savait pouvoir compter. Et pourtant, elle se détestait de le faire. Elle détestait que l'appréciation des autres repose uniquement sur un fait si superficiel que son apparence physique. Qu'adviendrait-il lorsqu'elle vieillirait, et perdrait la seule chose qui semblait pouvoir être valorisée chez elle? Bien sûr, pour le moment, à la veille de ses vingt ans, il ne s'agissait pas encore d'un souci de préoccupation majeur. Mais elle sentait néanmoins un décalage entre la personne qu'elle montrait aux autres, et celle qu'elle se sentait être, au plus profond d'elle-même. La vérité était qu'elle avait peur, une peur impressionnante, envahissante, et sans nom. Elle se cachait derrière un masque pour ne pas avoir à montrer au monde qui elle était réellement. Peu importait ensuite qu'elle puisse être intelligente ou cultivée. Elle était belle, et les autres s'arrêtaient visiblement à cela. Être accompagnée d'elle, c'était le summum, la récompense ultime. Elle n'était rien d'autre qu'un trophée.

Elle décida de se rendre à la plage ce jour là. Étrangement, l'hôtel lui rappelait quelque peu la Californie, non pas du point de vue du décor, mais du type de population qui y séjournait. Tout semblait être bon pour s'exhiber. Elle aurait pu se sentir alors parfaitement à l'aise, elle n'avait aucun effort à fournir. Son bikini sublimait naturellement ses courbes. Elle avait beau venir de la côte Ouest, elle avait toujours eu le teint plus pale que ses camarades, un teint sublimé par ses cheveux bruns foncés, et qu'elle cultivait. C'est pour cela qu'elle avait pris soin de demander un parasol à l'accueil de l'hôtel. Elle ne supportait pas toujours très bien le soleil, d'autant plus lorsque ses rayons étaient d'une telle intensité. Elle s'était longuement baignée, ce qui lui avait fait un bien fou. L'eau était rafraichissante. La longueur de ses cheveux lui donnait chaud. Voilà déjà quelques temps qu'elle hésitait à les faire couper. Mais pour le moment, elle préférait s'allonger sur sa serviette, et lire un bon roman. Ou en l'occurrence, une pièce de théâtre. Macbeth. Elle la connaissait, pour ainsi dire, par cœur, et ne se lassait pas de la relire encore et encore.
Rien n'aurait pu la distraire. Sauf une personne qui viendrait la percuter de plein fouet. Roxane poussa une exclamation de douleur et se redressa. Il s'agissait visiblement d'un jeune homme, d'environ son âge, ou à peine plus âgé. Elle se sentait prête à lui dire sèchement de faire un peu plus attention. Ce fut avant qu'il se mettre à énoncer cette tirade. Elle le fixa, tout d'abord stupéfaite. Puis, elle éclata de rire. Non pas un rire moqueur, mais à la fois amusé et attendri.

- Rassurez-vous, vous avez réussi à plaider votre cause. Évitez simplement de me piétiner à l'avenir. Je m'appelle Roxane.

Il était étrange, mais amusant. Elle devina d'instinct que ce genre d'incident devait lui arriver assez fréquemment. C'était bel et bien la toute première fois de sa vie que la jeune femme était d'une si bonne humeur après avoir été percutée par un inconnu. Mais il y avait quelque chose en lui qui le lui rendait sympathique. Elle espérait simplement qu'elle n'allait pas avoir de gros bleu. Son sourire s'évanouit lorsqu'elle commença à recevoir du sable sur la figure. Elle toussa, puis éternua.

- Si vous pouviez éviter de m'envoyer du sable partout...

Son ton était surtout amusé, néanmoins avec une pointe d'agacement dans la voix. Elle estimait en avoir subi suffisamment, bien qu'elle se douta qu'il ne le faisait pas vraiment exprès.